Dans les années 1980, la liberté gagne du terrain en Europe et le polar continue d’être une source de critique sociale, mais le roman policier est de plus en plus concurrencé par la série télévisée.

Avec la chute du franquisme en Espagne, la fin des années de plomb en Italie et l’arrivée de la gauche au pouvoir en France sous la présidence de Mitterrand, les années 1980 marquent un tournant en Europe et annoncent l’affaiblissement des grandes utopies révolutionnaires. À la suite du néo-polar français, une européenne du roman noir de gauche se cristallise autour de festivals comme la Semana Negra de Gijón où se rencontrent de nombreux auteurs européens et internationaux liés par les mêmes valeurs progressistes. Le roman noir reste le lieu d’une critique sociale et historique des travers des grandes démocraties européennes. Mais il s’ouvre aussi à des formes plus ludiques, comme le polar historique, le thriller ésotérique ou le polar postmoderne, témoignant d’une fragmentation du genre.

Concurrencées par la télévision, les collections de romans populaires déclinent. Avec des séries mettant en scène des figures nationales de « commissaires » emblématiques, de Navarro à Montalbano, c’est désormais de plus en plus sur le petit écran qu’on retrouve les héros des productions populaires. Avec la chute du Mur de Berlin en 1989, les circulations culturelles s’intensifient comme en témoignent les coproductions européennes telles que les séries Eurocops/Euroflics ou Rex, chien flic ainsi que la déferlante des séries télévisées policières allemandes sur les postes cathodiques français. Parallèlement à cette dissémination médiatique, on assiste à un processus de légitimation du récit criminel, qui quitte le ghetto de la littérature populaire pour bénéficier progressivement d’une forme de reconnaissance publique dont témoigne la création de nombreux festivals, de prix ou d’une institution comme la Bilipo.

Focus

Légitimation


À partir des années 1960, s’engage un important mouvement de légitimation du genre, qui va s’accélérer dans les années 1980. Ainsi, les lectures contre-culturelles du polar (Jean-Patrick Manchette), la littérarisation de ses procédés (Leonardo Sciascia, Friedrich Dürrenmatt) et l’exploitation à des fins ludiques et postmodernes de ses conventions (Umberto Eco, Jean Echenoz) sont quelques-uns des phénomènes qui témoignent de cette fragmentation des frontières entre culture légitime et culture populaire qui caractérise notre société contemporaine.

Polar politique et critique sociale


Dans les années 1980, le polar reste une littérature engagée représentée par de grands auteurs comme Manuel Vazquez Montalbán, Didier Daeninckx ou Robin Cook. Plusieurs festivals internationaux (Gijón, Frontignan) affirment cette dimension politique du genre. Dans cette dynamique internationale, les sociabilités éditoriales jouent un rôle capital (avec des éditeurs comme François Guérif, Patrick Raynal et Laura Grimaldi), de même que certaines aventures collectives comme Le Poulpe en France et le Gruppo 13 à Bologne.

Le polar, un univers tentaculaire !


On constate dans les années 1990 un phénomène de dissémination du noir vers des formes plus ludiques. D’une part, les codes du genre sont réinvestis dans la littérature postmoderne sur un mode référentiel ou parodique (Le Nom de la rose d’Umberto Eco, 1980 ; le méta-polar Cherokee de Jean Echenoz, 1983). D’autre part, le thriller historique, comme la série médiévale du Frère Cadfael d’E. Peters (1977-1994), les romans de l’Espagnol A. Garrido ou ceux du Français Jean-François Parot (« Nicolas Le Floch ») renouvelle le plaisir du roman à énigme en lui associant dépaysement et curiosité érudite pour le passé.

Le modèle télévisuel du « commissaire » national


Dans la ligne des détectives et inspirées de la série américaine Columbo (1968-1978), les télévisions européennes développent leurs propres figures de commissaires nationaux. L’Allemagne est la première à proposer ce type de format avec les séries Der Kommissar (1968-1975) et surtout Derrick (1974-1998) ; la France suit avec Commissaire Moulin (1976-2008) et Navarro (1989-2007) ; le Royaume-Uni adapte Hercule Poirot avec David Suchet (1989-2013) et propose l’Inspecteur Barnaby (1997-2019) ; l’Italie adapte Commissaire Montalbano (1999-) d’après Andrea Camilleri. Le stéréotype évolue et le commissaire peut devenir une femme dans Julie Lescaut (1992-2013) ou une juge dans Le juge est une femme (1993-).

Les coproductions sérielles européennes


Après la chute du Mur de Berlin, les circulations et coproductions européennes s’accélèrent. Euroflics/Eurocops (1988-1992), série TV policière coproduite par sept chaînes européennes, est devenue culte à cause de son générique numérique et d’un thème musical électronique. Quant à la série germano-autrichienne Rex, chien flic (1994-2004) qui met en scène un duo entre un commissaire et son berger allemand au sein d’une brigade criminelle viennoise, c’est la série européenne la plus vendue au monde.

Prix et festivals


Certains prix comme le « Grand Prix de Littérature Policière » (France, 1948) ou le « Crossed Red Herring Award » (Royaume-Uni) existent depuis les années 1950. Dans les années 1970, quelques initiatives associatives contribuent au mouvement de légitimation du genre : la Swedish Crime Writers Academy met en place le « Martin Beck Award » en 1971, et en 1973 le « Premio GranGiallo » de Cattolica en Italie récompense le giallo Mondadori de l’année. Mais c’est dans les années 1980 que les festivals et les fanzines de littérature noire fleurissent dans toute l’Europe. Aujourd’hui, presque toutes les villes de taille moyenne ont leur propre festival de polar.

Vidéos en ligne


Un générique de la série Derrick, débutée en 1974. Le personnage sera élu meilleur flic d’Europe tellement il a été diffusé. Il traverse les années quatre-vingts sans difficulté.


Documentaire avec Christophe Carrière, sur le film Série Noire, d’Alain Corneau, sorti en 1979, adapté d’un roman de Jim Thompson.


Générique de la série allemande Eurocops/Euroflics, qui montre bien les différents policiers intervenant en Allemagne, Autriche, Suisse, France, Royaume-Uni, Italie et Espagne. Premiers épisodes en 1988. Il s’agit donc de la RFA pour l’Allemagne.


Générique de la série française Navarro, d’après les personnages de Tito Topin et Pierre Grimblat. Premiers épisodes en 1989.


Le choix de la maison du commissaire Montalbano, personnage d’Andrea Camilleri, créé en 1994. Premiers épisodes de la série en 1999.


Rex, chien flic (Kommissar Rex). Compilation des génériques de la série. Premiers épisodes en 1994.


Didier Daeninckx, auteur, explique comment écrire l’Histoire en roman policier. Documentaire de 2011, par Réalisons l’Europe.


Umberto Ecco parle de son roman, Le Nom de la Rose / Il nome della rosa, conférence en 2011.

Audios en ligne


Thème musical de la série Eurocops/Euroflics.


Thème musical de la série Derrick.


Livre audio du roman d’Umberto Ecco, Le Nom de la Rose (1980).

Lectures en ligne

Un article de Laurent Lombard « Le roman policier italien : entre mystère et silence », dans Mouvements 2001/3 (no15-16), pp 59 à 67.
 https://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-3-page-59.htm

Article de Loriano Macchiavelli, auteur, concernant le groupe 13 / Gruppo 13. Article de 2012.
https://www.loriano-macchiavelli.it/gruppo-13/

Article de Mireille Descombes, retour sur le premier roman de Henning Mankell, Le Dynamiteur. Article de 2018.
https://www.letemps.ch/culture/dynamiteur-premiers-henning-mankell

L'exposition