Les romans policiers nordiques, couplés à la révolution numérique, modifient le paysage européen du roman policier. La fiction policière, au succès désormais mondial, s’inspire même de territoires jusqu’alors marginalisés.

Au début des années 2000, avec la démocratisation du Web et le passage à la télévision numérique, le panorama audiovisuel se modifie : on peut recevoir dans toute l’Europe des milliers de programmes selon différents modes de réception (TNT, câble, satellite ou ADSL). Face à l’hégémonie culturelle et médiatique américaine, l’Europe s’organise et produit ses propres fictions policières : les Scandinaves sont le moteur de ce renouveau. La série romanesque Millenium de Stieg Larsson et ses adaptations cinématographiques danoise et américaine, lancent la tendance du Nordic Noir. Les séries TV nordiques sont diffusées dans de nombreux pays et parfois adaptées. Les canaux de diffusion se multiplient avec l’arrivée de la VOD en Europe par le biais de plateformes telles que Netflix qui proposent des vidéos destinées à des publics-cibles. Ces plateformes produisent aussi parfois leurs propres contenus selon une logique postfordiste : produire localement des fictions destinées à la fois à un public de niche et à un public international attiré par un folklore dépaysant.

Si la fiction policière devient un phénomène médiatique et commercial global, on observe néanmoins la permanence de certaines pratiques culturelles qui valorisent les imaginaires locaux : c’est notamment le cas de la veine du Country Noir en France qui, après la crise économique de 2008, s’intéresse aux marges rurales et aux oubliés de la mondialisation. On trouve aussi un regain des phénomènes d’édition de romans régionaux comme le polar breton, le polar italien et son régionalisme truculent ou encore le regionalkrimi allemand qui s’appuie sur les identités de ses Länder.

Focus

Polar européen et régionalisme


Le polar redéfinit les aires culturelles régionales européennes : on parle de Nordic Noir mais aussi de Noir Méditerranéen, qui regroupe des auteurs français (Jean-Claude Izzo), italiens (Massimo Carlotto), espagnols (Víctor Del Árbol) ou grecs (Pétros Márkaris) et qui a son propre prix littéraire, décerné depuis 2018 par le Centre Méditerranéen de Littérature. Certaines étiquettes régionalistes valorisent un polar encore plus pittoresque et touristique, comme le polar breton, porté par les éditions quimpéroises Bargain ou le Regionalkrimi allemand.

Le Nordic Noir et la circulation des fictions policières scandinaves


Ce sont les adaptations cinématographiques suédo-danoises (2009) et américaines (2011) de la trilogie littéraire Millenium de Stieg Larsson qui ont lancé la vogue du Nordic Noir à la télévision comme en littérature. Des romanciers comme Arnaldur Indriðason (Islande), Peter Høeg (Danemark), Jo Nesbø (Norvège) ou, dès les années 1990, Henning Mankell (Suède) imposent leur style. Dans un univers souvent dépressif, le Nordic Noir peint les dessous peu reluisants d’une société scandinave dont le modèle social fait pourtant rêver l’Europe.

Europe, unité spéciale : importation du modèle américain.


Ce sont notamment des séries américaines comme New-York, police judiciaire (1990-2010), Les Experts (2000-2015) et NCIS (2003-) qui infléchissent la narration des fictions policières vers le modèle de la brigade criminelle et de l’enquête scientifique. Significativement, le spin-off de la série Navarro s’appelle Brigade Navarro (2007-2009). Les productions européennes comme la série française La Crim’ (1999-2006), la série allemande SOKO München et ses nombreux spin-off ou la série italienne RIS, Delitti imperfetti (2005-2009) et ses remakes allemand, espagnol et français s’inspirent de ce nouveau modèle procédural qui présente les forces de police en cours d’investigation.

Succès du thriller


Si le thriller existe depuis longtemps (un périodique britannique portait ce nom dans l’entre-deux-guerres), il connaît en Europe une nouvelle vivacité à partir des années 1990, à travers des œuvres alliant psychologie et violence. Au cinéma, le tournant de l’angoisse s’opère même dès les années 1980 avec des adaptations des maîtres américains du genre. En littérature, les thrillers occupent souvent le haut des ventes, avec des auteurs comme Donato Carrisi, Jo Nesbø, Maxime Chattam, Mark Elsberg, Frank Thilliez ou Paula Hawkins.

Stratégie de Netflix et fictions policières européennes


Avec l’arrivée de Netflix en Europe et l’obligation faite à cette chaîne par l’UE de proposer 30% de contenus européens dans son catalogue, on a vu se multiplier les programmes européens (de 81 projets originaux en 2018 à 151 en 2019). Les séries criminelles sont ainsi largement vues par des spectateurs extra-européens (aux deux tiers), constituant « une audience globale pour de super-productions locales » (Reed Hastings). Pour séduire ces publics globalisés, les producteurs cherchent à donner une touche pittoresque à des œuvres obéissant à des codes et des standards internationaux.

La Casa de papel


Série espagnole produite par Netflix suivant une stratégie d’implantation européenne s’appuyant sur la production de créations originales locales, La Casa de papel est un exemple du jeu qui existe aujourd’hui entre logiques mondialisées et localisées. Le masque de Dali présent dans l’intrigue est paradoxalement devenu l’un des symboles des contestations anticapitalistes en Espagne et au Liban : la fiction policière devient une source d’inspiration pour les luttes politiques dans la réalité.

Vidéos en ligne


Portrait de l’auteur Stieg Larsson par France Culture, 2019.


Documentaire sur Stieg Larsson par CBSNews, 2010.


Interview de l’acteur Rolf Lassgard incarnant Kurt Wallander, personnage d’Henning Mankell, lors de la sortie de False Trail. 2012.


Documentaire avec Arnaldur Indridason à propos de son roman Les Nuits de Reykjavic. 2012.


Interview de Jo Nesbo, auteur, pour son roman Phantom, 2012.


Interview de Nicolas Mathieu pour son roman Aux animaux la guerre, lors du festival Quais du polar 2015.

Audios en ligne


Première partie en livre audio, en anglais, de The Girl with the Dragon Tattoo / Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes, de Stieg Larsson.


Extrait première partie en feuilleton audio de The Girl with the Dragon Tattoo / Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes de Stieg Larsson, sur France Culture, 2012.

Lectures en ligne

Article de Matthias Stolz, avec carte, pour situer le Regionalkrimi en 2013.
https://www.zeit.de/2013/03/Deutschlandkarte-Regionalkrimis


Un article de Julius Heinrich concernant le Regionalkrimi, 2016.
https://www.tagesspiegel.de/kultur/regionalkrimis-jedem-kaff-sein-krimi/14470162.html


Article de la Rédaction I love writing sur le Regionalkrimi, avec de nombreuses sources (quellen) en fin d’article. Non daté.
https://ilovewriting.ullstein.de/regionalkrimi/

L'exposition