Les détectives tiennent le haut du pavé au début du XXe siècle, portés par le développement fulgurant du cinéma. On les retrouve à l’écran aux prises, comme dans leurs romans, avec des criminels de grande envergure.

À partir de 1900, deux grandes figures de détectives s’imposent dans toute l’Europe : l’Anglais Sherlock Holmes et l’Américain Nick Carter. Si le premier fascine les contemporains, et s’il contribue à placer l’enquête au cœur des récits, le second a eu une très grande influence jusqu’aux années 1930. Traduites dans toute l’Europe, les aventures de ces deux détectives sont adaptées à la scène ou au cinéma, et suscitent chez les éditeurs populaires toute une série d’imitations. On citera le Français Toto Fouinard, l’Italien Petrosino, l’Allemande Wanda von Brannburg, et toute une liste de faux Américains – Nat Pinkerton (« der köning der detectivs »), Fred Parker, Ethel King, Tip Walter, Nick Winter (qui triomphe au cinéma et devient en Espagne un héros de romans), Timm Fox, Harry Dickson (« le Sherlock Holmes américain »)…

Toute l’Europe est prise d’une passion pour les détectives, et pour leurs ennemis, génies du crime qu’on taille à leur mesure. En France, ce sont Zigomar et Fantômas, en Italie, Za-La-Mort, au Luxembourg puis en Allemagne, le Docteur Mabuse, en Grande-Bretagne, le Docteur Nikola et Fu-Manchu.

Loin des déductions de Sherlock Holmes, les récits de détectives et de criminels partagent la même fascination pour la vitesse et les nouvelles techniques. Ils condensent une certaine idée de la modernité : celle qu’incarne l’idéal américain, mais aussi celle, plus inquiète, associées aux méthodes toujours plus sophistiquées de criminels dont le caractère cosmopolite a pu renvoyer aux inquiétudes d’une Europe traversée de tensions. Surtout, en substituant l’affrontement du détective et du criminel aux intrigues sociales, ces récits populaires définissent pour un temps le vocabulaire du roman policier d’action, avec ses enquêtes menées à toute allure, ses poursuites, ses changements d’identité, et son refus de lier désormais l’imaginaire criminel aux questions politiques.

Focus

Eichler et les fascicules


En 1905, l’éditeur allemand Alwin Eichler signe à New York un contrat avec Street and Smith, l’un des plus importants éditeurs de dime novels, ces fascicules populaires pour la jeunesse, lui donnant le droit de diffuser en Europe les aventures de Buffalo Bill et de Nick Carter. Les exploits du détective Nick Carter ou de ses imitations seront publiés dans la plupart des pays européens par Eichler et ses concurrents, américanisant d’un coup l’imaginaire criminel.

Sherlock Holmes


À côté des productions populaires d’Eichler, un autre modèle de détective s’impose en Europe, Sherlock Holmes, créé par Conan Doyle en 1887. Destinée à un public plus adulte et plus bourgeois, la série invente le principe du récit à énigme et contribue à éliminer de l’imaginaire policier les éléments de mélodrame, de roman d’aventures ou d’amour qui tenaient une place importante dans les romans du XIXe siècle. Le modèle déductif que valorise la série s’oppose au roman policier d’action incarné par Nick Carter. Ces deux formes coexisteront durant toute l’histoire du roman policier.

Holmes dans le monde


Le succès extraordinaire de Sherlock Holmes se manifeste par sa diffusion très rapide dans toute l’Europe (comme le montrent ces traductions en allemand, espagnol et tchèque). Dans son sillage, on voit apparaître de nombreux enquêteurs déductifs, comme le « vieil homme dans son coin » de la Baronne Orczy ou Rouletabille de Gaston Leroux. Des fascicules apocryphes racontant ses aventures ont largement circulé. Enfin, il connaît dans l’Europe entière de nombreuses adaptations au cinéma et au théâtre, souvent assez fantaisistes.

Harry Dickson enquête !


À l’origine, série d’aventures apocryphes de Sherlock Holmes (1907) qui ont circulé dans toute l’Europe (parfois sous le nom du « roi des détectives »), Harry Dickson est devenu en Belgique flamande « Le Sherlock Holmes américain » (se référant du même coup aussi à Nick Carter). Adaptée très librement en français par Jean Ray, la série va se charger de la poésie fantastique d’un « traducteur » laissant vagabonder son imagination.

Génies du Crime


Face au génial détective se développe un type d’adversaire à sa hauteur, le génie du crime. Fantômas, Zigomar, le Docteur Mabuse ou le Docteur Nikola en sont quelques incarnations fameuses. Ce type de personnage diabolique manifeste aussi les inquiétudes du temps face à l’insécurité sociale ou à la violence politique. Mais, figure dominée par sa seule volonté de puissance, il contribue à dépolitiser l’imaginaire criminel, qu’il arrache à son contexte social pour n’en faire qu’une affaire de perversité.

Le cinéma criminel


Le cinéma contribue à imposer l’imaginaire criminel, avec les films de Jasset, de Feuillade, de Ghione et bientôt de Fritz Lang. D’abord avant tout français, les films adaptent les succès romanesques du temps (Nick Carter, Zigomar, Fantômas), puis, à partir de la Première Guerre mondiale, les Américains dominent le marché avec les serials (films à épisodes), imposant leurs rebondissements extraordinaires (les fameux cliffhangers), et leur modernité excentrique (avec automobiles, trains, avions). Ici, l’enquête laisse place à l’action et au thriller (de thrill : frissonner).

Vidéos en ligne


Extrait de Fantômas, à l’ombre de la guillotine, réalisé par Louis Feuillade, en 1913, film français, muet, d’après le personnage d’Allain et Souvestre.


Anime buie, réalisé par Emilio Ghione en 1916, film italien muet avec le personnage de Za la mort.


Pourquoi il n’y a pas eu de film Harry Dickson, émission Blow up, d’Arte TV.


Extrait de The Mask of Fu Manchu, réalisé par Charles Brabin en 1932, film américain.


Extrait de Phantom raiders, réalisé par Jacques Tourneur, film américain de 1940, adapté de Nick Carter.


Une bande annonce du Diabolique Docteur Mabuse, réalisé par Fritz Lang en 1960, film franco-allemand-italien, inspiré du personnage de Norbert Jacques, apparu la première fois en roman dans Dr. Mabuse, der Spieler, publié en 1921

Audios en ligne


Un livre audio en anglais, Doctor Nikola Returns, de Guy Boothby, publié en 1896


Extrait de Nick Carter, Master Detective - On the Air : Original Radio Show Themes, Vol. 1. Annonce une pièce radiophonique adaptée d’une aventure de Nick Carter


Des pièces radiophoniques adaptées de Nick Carter : Nick Carter, Master Detective.


Des pièces radiophoniques adaptées de Sherlock Holmes.

Lectures en ligne

Article de Philippe Jaussaud sur Harry Dickson et la science.
https://popsciences.universite-lyon.fr/ressources/science-vintage-detective-harry-dickson/

Article de Bérengère Vachonfrance-Levet, « Fantômas - À l’ombre de la guillotine (Louis Feuillade, 1913) ou Quand le cinéma s’émancipe… », dans Belphégor (la revue des littératures populaires et médiatiques)
 https://journals.openedition.org/belphegor/115

Article, en italien, de Vittorio Frigerio, « Emilio Ghione, Za la Mort. Romanzo. A cura di Denis Lotti », dans Belphégor (la revue des littératures populaires et médiatiques).
https://journals.openedition.org/belphegor/234

Recueil d’images, vous pouvez regarder en ligne les numérisations de fascicules de l’Institut de littérature tchèque.
http://dapl.ucl.cas.cz/

L'exposition